Vidéo, 12'30'', 2004 Cette vidéo fait partie des collections du Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris et du Frac Champagne-Ardenne. Bonneville est le nom de ma ville natale. C'est une petite ville située dans les Alpes où j'ai passé toute mon enfance. Après avoir déménagé lorsque j'étais adolescent, je n'y suis plus jamais retourné. En repensant à Bonneville, bien des années plus tard, j'ai pris conscience de l'étrangeté du passage du temps et du phénomène de la mémoire. Je n'étais pas très attaché à cette ville qui n'offre pas beaucoup de distractions, pourtant elle était pour moi indéfectiblement associée à mon enfance dont elle était l'unique horizon. Jusqu'à l'age de quinze ans, les frontières de mon univers familier se confondaient avec la crête des hautes montagnes qui enserrent la ville. Comment se pouvait-il qu'en si peu d'années toute la solidité de ce petit monde, ses rues, ses maisons, ses forêts, se soit diluée pour n'être plus qu'un souvenir vague et évanescent ? Considérant cet étrange effacement, c'est l'image d'une ville en ruine qui me venait à l'esprit. Tout comme quelques fondations mises à nues sont souvent les seuls vestiges d'une cité antique, il m'apparaissait que ma mémoire n'avait su conserver des lieux de mon enfance qu'un ensemble d'empreintes qui, jadis intimement reliées à une réalité vivante, s'étaient au fil du temps asséchées jusqu'à ne plus être que des coquilles vides. Ma tête me donnait l'impression d'un bric-à-brac de paléontologue, rempli des morceaux désarticulés du grand squelette de ce qui était autrefois un organisme vivant. J'ai réalisé la vidéo Bonneville pour tenter de rendre corps à cette mémoire désincarnée. J'aimais aussi l'idée de pouvoir littéralement projeter sur un écran une chose ordinairement si intime et ainsi de communiquer, de partager, une vision qui serait sans cela demeurée intérieure. Je ne voulais pas cependant trahir la qualité mentale de cette évocation, transformer le spectral en spectacle. C'est pour cela que j'ai opté pour ce silence, cette rondeur des mouvements, cette lenteur. Pour réaliser cette vidéo, j'ai d'abord dressé un genre d'inventaire. Sur des feuilles de papier A4, j'ai jeté d'un dessin rapide, au moyen d'un épais marker noir, le dessin d'un millier d'objets qui peuplaient ma mémoire : arbres, maisons, véhicules... sans soucis de justesse ou de virtuosité. Je voulais, plutôt, inventer un alphabet dont ces dessins rudimentaires seraient les idéogrammes. Après quoi je me suis attaché à réécrire la ville en structurant, c'est à dire en spatialisant, tous ces signes. Je les ai animés par ordinateur, faisant glisser entre eux une caméra virtuelle, mais prenant soin de conserver le délié nonchalant de cette écriture. La vidéo qui en résulte est une promenade lente et silencieuse dans ma mémoire, entre les signes noirs de cette écriture dont chaque caractère semble être une victoire sur la blancheur, celle de la page vierge comme celle creusée par l'oubli.Cette vidéo a inspiré à Antony Hegarty, chanteur du groupe Antony and the Johnsons, un texte intitulé "I go home - Lyrics from a forgotten song" publié dans le catalogue de l'exposition "I still believe in miracles" par le musée d'art moderne de la ville le Paris.
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