Médiums multiples : tirages photographiques, vidéos et gouaches sur papier. Dimensions et durées variables. Tenir un "carnet de rêves" est une pratique relativement répandue. Elle est souvent le fait d'amateurs car, comme dans le cas du journal dont elle est d'ailleurs souvent le corollaire, il ne s'agit pas tant de faire oeuvre que de satisfaire une curiosité intellectuelle ou un besoin d'introspection. Parmi les "carnets de rêves" les plus connus figurent celui de Franz Kafka, exclusivement littéraire, ou bien celui, au contraire abondamment illustré, de Federico Fellini. Mon travail prenant souvent pour point de départ des images mentales - que ce soit celles de la mémoire ou celle de l'imagination - c'est tout naturellement que j'en suis venu moi aussi à adopter cette pratique, la mettant en oeuvre non plus par le biais de l'écriture comme c'est généralement l'usage mais par celui de l'image, fixe ou animée. A rebours du surréalisme, auquel le thème du rêve est souvent associé dans le champs des arts visuels, je ne me suis pas intéressé exclusivement à ce que les visions oniriques contiennent de bizarreries ou d'extravagances. Au contraire, un rêve m'étonne souvent d'autant plus que les images qu'il déploie sont réalistes. Ce qui me semble véritablement extraordinaire, c'est le fait que chacun, en s'endormant, devienne artiste, architecte, designer, démiurge ; Que, par une opération mystérieuse, le dormeur soit soudain capable d'inventer avec la plus parfaite aisance une profusion de villes, de paysages, d'objets, d'animaux, de visages... Mon approche se veut donc aussi rigoureuse qu'il est possible. Partant à l'exploration des territoires du rêve, j'aimerais m'identifier à ces scientifiques des 18e et 19e siècles qui, s'embarquant pour le nouveau monde, cherchaient à restituer par le dessin l'apparence de chaque plante, de chaque roche, de chaque animal, s'attachant à figurer le plus fantastique comme le plus humble avec une égale attention. Comme eux, mon premier soucis est de restituer aussi fidèlement qu'il m'est permis la scène dont j'ai été le spectateur. Pour cela, je reconstitue patiemment chaque vision onirique en image de synthèse, m'efforçant de rendre compte non seulement de la forme des différents objets mais encore de la qualité particulière de la lumière et de l'atmosphère générale du rêve. Cette approche qui se voudrait scientifique, objective, est bien entendu éminemment paradoxale. Du rêve, l'écrivain Jorge Luis Borges disait en effet qu'il est un grand mystère dans lequel l'âme humaine "est à la fois le théâtre, les acteurs et l'auditoire". Ainsi, c'est moi-même, une part obscure, confuse, mais profondément intime de moi-même qui ai (qui a?) élaboré les images que je m'efforce servilement de reproduire. Dans le monde du rêve, je est effectivement un autre.Haut de la page |