Papier peint contrecollé sur des volumes de bois 340 X 400 X 500 cm 2007 Si mes réalisations ont souvent pour titre des noms de lieux, elles s'attachent moins à la représentation de ces lieux eux-mêmes, choses en soi dont la connaissance immédiate est toujours plus ou moins compromise, qu'a l'exploration des moyens détournés par lesquels ces lieux justement s'appréhendent. Ainsi Bonneville n'est pas une ville mais un souvenir et la place Franz Liszt moins un espace localisable qu'une fiction subjective. De la même façon on peut dire du bureau ovale de la maison blanche auquel l'installation emprunte son titre, qu'il a été au fil de son histoire beaucoup de choses, mais qu'il n'a précisément jamais été un bureau. Mon intérêt pour ce lieu tient au fait que sa fonction réelle, si elle a pu varier au fil du temps, a toujours été d'ordre symbolique et spectaculaire. Le bureau ovale peut en effet se concevoir comme la transposition contemporaine de l'ancienne salle du trône où le pouvoir, idée abstraite, se donne à voir au travers d'un décorum fait de symboles et d'attributs (drapeau du président, aigle, mobilier immuable) qui, dans le même temps, l'illustre et le confère. Ce pouvoir n'est pas seulement celui d'un gouvernement, il se voudrait plus hyperbolique. Par sa configuration même, le bureau évoque l'omphalos, le fameux «nombril du monde» que les anciens grecs situaient à Delphes. Il se présente comme le centre dont émanent les directives qui doivent décider de la conduite du monde. Cette prétention du bureau ovale à faire figure de centre du monde connut peut-être son apogée lorsqu'en 1969 le président Nixon y établit une communication interplanétaire avec les hommes de la mission Apollo 11. Plus intéressant encore est selon moi le glissement qui s'est opéré au fil du temps de cette fonction d'apparat vers une fonction de décor voué à un devenir image.Un survol de l'iconographie du lieu, dont certaines images sont enracinées dans l'imaginaire collectif, nous le fait voir comme un décor de cinéma avec ses accessoires faussement anodins (portraits de famille, buste de Winston Churchill, vues du Texas, bibelots, portrait de George Washington etc.) et sa mise en scène méticuleusement élaborée qui voudrait feindre le naturel. Ce décor à même sa machinerie, une porte dissimulée dans la partie centrale du bureau, d'abord ajoutée par Roosevelt pour soustraire son infirmité à la vue, puis utilisée par John John Kennedy pour apparaître, comme au théâtre, sous l'oeil des caméras. L'apparition de nouveaux médias a ensuite redoublé cette fonction spectaculaire. Le bureau ovale est vite devenu un plateau de télévision, c'est-à-dire un simulacre. Plus exactement, le vrai lieu du pouvoir est devenu un lieu médiatique. L'image n'est plus une représentation d'un lieu physique du pouvoir, c'est le lieu physique qui est pensé comme un décor dont la vocation est de devenir image.Internet a ensuite accéléré l'éclatement de ce centre qui, déjà devenu immatériel, s'est alors diffracté et éparpillé en une infinité d'images lacunaires. Mon travail a consisté à collecter ces images et, m'intéressant à leur contenu secondaire, à en identifier les détails puis à assembler entre eux tous les fragments visibles pour reconstituer l'image des différents éléments. J'ai ensuite reconstruit le bureau ovale à l'échelle 1 à partir de ces images, non pas en les utilisant comme une simple documentation mais en les agrandissant, en les imprimants et en en faisant la véritable matière première de la construction. L'espace que j'ai construit est donc moins une représentation du bureau original (lieu physique localisable) qu'une matérialisation du «lieu médiatique», c'est-à-dire du bureau ovale comme image. En effet, s'il est souvent question dans mon travail de reconstruire ce qui a été déconstruit il s'agit moins pour moi de restaurer que de mesurer une perte. Elle est ici littérale autant que symbolique : de cette opération d'extrapolation à partir d'images confuses et lacunaires résulte une sorte d'espace en basse résolution, un espace flou et pixellisé dont la configuration est la résultante d'un conflit entre l'architecture du bureau originale et celle de l'espace d'exposition qui l'accueille. La position centrale qu'occupait cet ersatz dans l'exposition «même heure, même endroit», faisant écho à la volonté du bureau ovale de faire figure de lieu de contrôle, pouvait suggérer une lecture symbolique : l'idée de l'obsolescence ou tout au moins de la fragilité d'une telle prétention à l'heure où les structures en réseau, dans tous les secteurs, tendent à se substituer aux structures centralisées.Haut de la page |