Vidéo, 50', 2012 Cette vidéo fait partie des collections du Frac Languedoc-Roussillon La vidéo Le parasol de Phnom Penh fait partie de la série des Témoins. En 2010, j'avais mené plusieurs enquêtes au Japon, interrogeant des personnes rencontrées dans la rue à la manière d'un détective. L'une d'elles, qui m'avait conduit dans le milieu des cosplayers, avaient été particulièrement riche en surprises et en rebondissements. Mais au-delà des péripéties dont je pouvais rendre compte dans mon journal, il y avait eu aussi beaucoup d'ineffable : un geste mystérieusement élégant, une intonation, l'impression parfois que mille paroles, condensées, s'exprimaient dans l'éclair d'un regard. Souvent j'ai regretté de ne pas avoir pu retenir, d'une manière ou d'une autre, ces infimes mouvements. C'est pourquoi quelques mois plus tard, lorsque j'ai entrepris de me rendre au Cambodge à la recherche d'un parasol orange aperçu dans les pages d'un journal, j'ai décidé de filmer, cette fois-ci, l'intégralité de mon voyage. Il ne s'agissait pas de composer de belles images, ni même à proprement parler de "faire un film". Plutôt, je voulais être entièrement à mon enquête, ne me préoccuper de rien d'autre que de l'instant, et laisser à un dispositif automatisé le soin d'enregistrer mes déambulations, à la manière d'une boîte noire. J'ai finalement eu recours à une petite caméra à objectif déporté que j'ai fixée sur mon épaule. J'aimais que ce type d'équipement, ordinairement utilisé par les pilotes de rallye ou les skieurs hors-piste, souligne l'idée d'un parcours, d'un déplacement. Ainsi le très grand angle, presque un fish-eye, fait-il oublier le cadre, la césure, pour restituer aussi amplement qu'il est possible le territoire traversé. Lorsque je suis arrivé à Phnom Penh, je n'avais pas d'autre indice que la photographie découpée dans le journal. Pendant plusieurs jours j'ai parcouru la ville de manière erratique, interrogeant, au hasard, des passants, cherchant un interprète... Finalement, j'ai pu retrouver le propriétaire du parasol orange, une vieille dame vendant des boissons dans une minuscule échoppe, et obtenir qu'elle me cède l'objet convoité qui a alors rejoint ma collection en tant que huitième "témoin". Mais au fil de ce voyage j'ai surtout découvert toute la complexité d'une réalité dont le journal ne m'avait donné qu'un aperçu trompeur. La photographie m'a conduit dans l'un des quartiers les plus pauvres de la capitale, à proximité d'un grand lac qu'une société immobilière venait tout juste de combler afin d'y construire des résidences de standing et de grands centres commerciaux. Ses habitants, que j'ai rencontrés à la faveur de mon investigation, sont condamnés à l'éviction forcée. Dans la photo, cette réalité était littéralement hors champ, cachée derrière le grand mur de béton qu'on voit se dresser sur la gauche de l'image. Grâce à une jeune femme qui m'a aidé dans mon enquête, j'ai pu passer de l'autre côté de ce mur aveugle et filmer les 90 hectares de ce désert qui était autrefois un lac. Pour moi, cette aventure est vraiment affaire de "traversée". Le regard butte sur le papier glacé des magazines aussi sûrement que sur la surface impénétrable d'un mur de béton. Pourtant il me semble qu'avec ce projet j'ai trouvé le moyen de franchir cette surface, d'aller voir ce qui se cache derrière, et de m'immerger dans le flux mouvant et insaisissable de la réalité que les images traduisent si imparfaitement. La vidéo rend compte de ce franchissement en substituant symboliquement à la planéité de l'image imprimée une percée continue, filmée en vue subjective, dans sa profondeur.
Haut de la page |