Projet en cours initié en 2008. Ensemble de diptyques associant une page de journal ou de magazine à un objet présent sur la photographie reproduite. L'ensemble constitue une collection ouverte d'objets hétéroclites. Ce projet bénéficie du soutien de la DRAC Ile-de-France.
Témoin n°1 (Gant d'un cow-boy du Colorado), page du National Geographic et gant, 2009 Le projet des Témoins, un peu à la manière du projet Place Franz Liszt, se déroule selon un protocole prédéfini qui l'apparente à un jeu de piste ou à une chasse au trésor. Tout commence par des images que je sélectionne au gré de mes lectures de journaux et de magazines et dans lesquelles j'identifie certains détails qui, à la manière du punctum dont parlait Roland Barthes, attirent à eux le regard et se chargent, malgré leur apparente banalité, d'une signification particulière. Cela peut être une pancarte brandie par un manifestant, un tableau décorant un fast-food de Kansas City, le gant usé d'un cow-boy du Colorado. Ensuite commence un travail d'enquête à l'issue duquel il s'agit d'obtenir, par don, achat ou troc, l'objet singulier visible sur la photographie. Quelquefois, cette enquête peut se faire entièrement à distance. Il s'agit alors d'étudier méticuleusement le moindre indice que peut contenir l'image et de mettre à contribution tous les outils, souvent liés à internet, qui nous permettent d'observer, de communiquer ou, dans une moindre mesure, d'agir à distance. Lorsqu'il suit ce mode opératoire, le projet peut être envisagé comme une manière de tester la pertinence et la portée de ce que Freud, déjà, nommait les "organes adjuvants". Plus souvent cependant, l'enquête se fait sur le terrain, "à l'ancienne". Avec la photographie pour seul indice, je m'aventure dans un voyage impromptu (au Cambodge, en Chine, à Londres, en Thaïlande, dans la forêt Amazonienne...) où, à la manière d'un détective privé, j'interroge les habitants, collecte des indices et, bien souvent, m'en remet au hasard dans une attitude proche de la "dérive" situationniste avant de pouvoir, de fil en aiguille, mettre la main sur l'objet convoité. Bien sûr, les échecs sont nombreux mais le caractère hautement aléatoire du projet, l'investissement considérable qu'il exige sans aucune certitude de résultat, participent pleinement de son sens comme de son esthétique. Le travail d'enquête lui-même n'est pas une simple étape intermédiaire. C'est lors de cette investigation que je creuse véritablement l'image et que je sonde la réalité dont la photographie ne donne à voir qu'un aperçu partiel. En discutant avec toutes ces personnes, j'en apprends davantage sur le hors champ de l'image et sur son économie. Des récits s'accumulent, que je consigne méthodiquement. L'investigation en définitive est le prétexte à une grande digression où le sens de l'image s'enrichit et au cours de laquelle un faisceau de narrations entrecroisées se substitue au propos univoque de l'article original. Au fil de ce journal de bord, les registres narratifs les plus divers se succèdent de manière imprévisible : récit d'enquête à la façon d'un roman policier, longue correspondance avec Michel Houellebecq, récit biographique détaillé d'une citoyenne d'Houma, au Texas etc. Ce texte, destiné à une publication, n'est pas présenté lors des expositions de la collection. Les objets sont présentés en diptyque avec les pages de magazine ou de journal dans lesquels ils ont été initialement repérés. La confrontation est donc binaire, brutale. Cette ellipse suscite un sentiment vertigineux. A moins de mettre en doute l'authenticité de l'objet, il faut reconstituer par un effort d'imagination le long périple par lequel ce détail d'une photographie parue dans un grand quotidien se trouve à présent juste là, à portée de la main. Par un curieux détour, l'évidence même avec laquelle s'offre cet objet apparemment des plus banals contribue à son mystère. Ce projet s'inscrit dans le prolongement de projets antérieurs tels que les Anaglyphes, Oval Office ou la vidéo Diary qui prennent pour point de départ mon rapport aux media (presse écrite, télévision ou Internet). J'envisage l'ensemble de ces pièces comme des moyens d'inventer une relation plus intime et plus directe à des réalités que nous n'appréhendons d'ordinaire que de manière distante et intellectuelle. La connaissance médiate en effet si elle repousse considérablement les bornes de notre champ de conscience dilue dans le même temps l'intensité de notre relation au monde. Mes projets antérieurs, pour redonner corps à ces réalités qui nous parviennent, pour ainsi dire, vidées de leur substance, se rabattaient sur la seule matière disponible, celle de l'image imprimée elle-même, son encre, son support etc. Tous retravaillaient donc l'image source pour l'augmenter au moyen d'artifices variés. Le projet des Témoins propose donc une solution plus radicale. Plutôt que de proposer une matière de substitution, il sonde la réalité que recouvre l'image et en extrait un objet d'apparence anodine mais qui vaut comme témoin tangible de la matérialité de l'ensemble de la scène documentée.Haut de la page |